La Passion selon saint Jean d’Alessandro Scarlatti est la première passion écrite en Italie au XVIIe siècle. Scarlatti traite le rôle de l’Évangéliste (un registre de mezzo soprano) d’une façon très particulière, accordant à son récit de nombreux accents émouvants. La voix du Christ (basse) est constamment auréolée d’un accompagnement de cordes. La version proposée par Leonardo García Alarcón intercale des méditations confiées au chœur ; celles-ci proviennent des répons pour le Semaine Sainte, compositions polyphoniques qui révèlent un genre très peu connu pratiqué par ce compositeur.
Un style à part
La Passion selon Saint Jean d’Alessandro Scarlatti, est radicale. La méthode de composition utilisée est alors à l’opposé de ce qui se faisait sur le scène Napolitaine à son époque. Chez Scarlatti les voix n’adoptent pas l’éclat des autres compositeurs comme Veneziano mais sont riches en pathos et en tension expressive grâce à une adhésion étroite entre texte évangélique et sonorisation.
« Le texte latin de la Passio secundum Joannem de Scarlatti et de celle deVeneziano respecte à la lettre à l’évangile de Jean (18, 19-37). Les personnages principaux sont le Testo (à savoir l’Évangéliste, contralto), le Christ (basse) et Pilate (ténor) suivis de la Foule. La partie du Testo est une sorte de déclamation soutenue par la seule basse continue, à l’exception, tout à fait significative, du début et de la fin de l’oratorio qui tiennent lieu de cadre musical. L’incipit instrumental des cordes, repris par le Testo, étonne par sa force expressive immédiate: c’est comme un interrupteur qui déclenche une lumière soudaine chargée d’émotion, en parfaite syntonie avec le récit évangélique. […] L’efficacité dramatique est d’autant plus frappante que les moyens de composition du jeune compositeur sont sobres. » – Luca Della Li
Le personnage du Christ est lui aussi traité musicalement par des passages de grande intensité: phrases courtes au profil mélodique espressif. Il est intéressant de remarquer que Scarlatti qualifie toutes les interventions du Christ par l’indication ‘Largo’ et parfois ‘Dolce’ qui contraste avec l’agitation de la Foule dont les interventions sont marquées par de vifs ensembles homophones. Pour le Christ Scarlatti a recours à la ‘gravitas’, c’est-à-dire , comme l’a analysé Ursula Kirkendale dans un article mémorable, cette posture propre aux souverains par laquelle ils ne se décomposent pas face aux événements.
La première apparition de la Foule est une brève incise homophonique qui répond à la demande du Christ ‘Quem quaeritis?’, avec ‘Jesum Nazarenum’. Les interventions de cette Foule prévoient toujours des cordes, qui enrichissent discrètement efficacement son expressivité. Dans cette première partie, l’auditeur est submergé par une atmosphère sombre qui ne connaît aucun répit. Les gestes mélodiques du Christ sont tous descendants, presque toujours par degrés conjoints. Sur ces derniers Scarlatti construit des moments de fort pathos avec des retards, comme la neuvième sur ‘Sinite hos abire’. Les brèves interventions chorales de la Foule rendent le ton agressif du texte par une écriture essentiellement homorythmique et un déploiement syllabique. Nous trouvons ici un trait propre au style de Scarlatti dans le rapport des voix et des instruments: ces derniers ne se limitent pas à redoubler les lignes vocales, mais agissent comme des parties autonomes, enrichissant ainsi considérablement le timbre de l’ensemble. […]
Luca Della Li
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Cet enregistrement a été réalisé avec le soutien de la Fédération Wallonie-Bruxelles