S’il ne fut pas le premier compositeur d’opéra, Francesco Cavalli (1602-1676) fut en revanche l’auteur d’œuvres lyriques le plus important du XVIIe siècle. Avec une trentaine d’opus régulièrement créés au long de trois décennies, il fut responsable du plein épanouissement de l’opéra public, inauguré en 1639 à Venise. Contrairement à Florence et Mantoue, où l’opéra, célébrant les dynasties au pouvoir, était officiellement né au début du siècle, Venise était une oligarchie, gouvernée par un groupe de patriciens : aucune lignée ne devait y être célébrée ; aucun événement scénique ne se limitait au soutien d’une cour. En effet, la ville pouvait se targuer d’une longue tradition de divertissements publics, originairement relatifs à la période du carnaval et destinés à la fois aux premiers touristes et aux Vénitiens eux-mêmes. Il s’agissait de productions théâtrales, souvent excentriques, de tous genres : parades, joutes, théâtre déclamé, etc. ; et, depuis 1637, opéra.
Cavalli avait été engagé à San Marco en qualité de chanteur depuis 1616, et gravit progressivement les échelons, devenant deuxième organiste en 1639, premier organiste en 1665, et finalement maestro di cappella en 1668 – poste que son maître Monteverdi occupa depuis 1613 jusqu’à sa mort en 1643. L’opéra devint rapidement l’attraction favorite de la saison de carnaval vénitienne et le nombre de théâtres et de productions augmenta dans les années 1640. Plusieurs compositeurs, librettistes, chanteurs et impresarios s’engagèrent personnellement dans les productions, mais pour les trente années à venir, Cavalli fut la figure de proue. Il composa vingt-huit opéras pour quelque cinq théâtres différents, en collaboration avec au moins six librettistes.
Le succès de Cavalli en tant que compositeur d’opéra dépendait en majeure partie de la manière dont sa musique accentuait le potentiel dramatique des textes que lui fournissaient ses librettistes. Son style, fortement influencé par son mentor Claudio Monteverdi, était extrêmement fluide, passant de la déclamation musicale à des développements plus lyriques en réponse aux inflections émotionnelles du texte. Bien que composés essentiellement de vers libres, qu’il « musiquait » en récitatif fluide, les livrets de Cavalli font parfois appel à des formes identifiables, destinées aux airs. Ceux-ci s’étendaient d’une forme syllabique relative à la poésie strophique, à des formes plus libres pour les lamentos. Souvent, toutefois, les passages lyriques n’étaient pas si formels, notamment lorsqu’ils répondaient à des pensées particulièrement passionnées et passagères, entourées par le récitatif habituel. En répondant à une demande de nouvelles œuvres de plus en plus vorace de la part du public, Cavalli et ses librettistes développèrent toute une série de conventions musicales et dramatiques, dont de nombreuses sont illustrées dans cet enregistrement : l’air, le lamento, la scène de folie, le duo d’amour notamment. En effet, la quarantaine d’extraits de la sélection proposée ici ne représente pas seulement la quasi-totalité de ses opéras dont les partitions sont aujourd’hui disponibles, mais elle illustre absolument toute la gamme d’expressions cavalliennes.