« Le pari de la truculence presqu’à outrance était risqué mais il est réussi tant le parti pris est maîtrisé, pas véritablement novateur dans la forme mais formidablement réalisé avec un rythme qui ne faiblit pas, et en fait solidement ancré dans le livret qui regorge de quiproquos, transpire la lascivité et les pulsions sans fard (Delfa, la nourrice lubrique de Dominique Visse mériterait des autels et des couronnes). Le ton burlesque principal laisse néanmoins la place à de belles respirations d’émotion et de poésie, dont la très aérienne scène du sommeil de Médée et Jason au troisième acte. […] Dans la fosse Leonardo Garcia Alarcón nous ravit une nouvelle fois à la tête de Capella Mediterranea par la plasticité, la richesse et la clarté de sa direction. Il offre ici une réalisation enthousiasmante, libre, foisonnante et colorée, avec des récitatifs d’une évidente fluidité, pleins d’esprit, de malice même. »
Philippe Carbonel pour Concert Classique
« Le théâtre de Cavalli est profondément, presque exclusivement un théâtre des sens. Le compositeur est constamment attentif à la dramaturgie de la pièce, la qualité théâtrale du drame est fondamentale : l’opéra vénitien n’est pas un cantar recitando (comme ce sera le cas avec l’opéra seria), mais un recitar cantando, qui privilégie le rythme alerte et varié du théâtre. D’ailleurs, conscient de cette qualité essentielle dans l’opéra du XVIIe siècle, Cicognini adapta lui-même, quelques années plus tard, le livret de Giasone en comédie en prose. Mais la musique dialogue avec le texte et en prolonge les implications pathétiques. C’est le cas des nombreux lamenti (de Procri dans Gli amori di Apollo e Dafne, de Cassandra dans la Didone, d’Egisto dans l’opéra éponyme, ou d’Alessandro dans Eliogabalo), des invocations et des scènes de fureur (d’Ericlea dans la Virtù dei strali d’amore, de Médée dans Giasone, de Nerea dans La Rosinda) ou encore des scènes de folie (dans l’Egisto ou l’Eritrea), topos opératique promis à un bel avenir. La musique de Cavalli possède une souplesse rarement atteinte jusque- là, l’expressivité y est partout présente qui vient se nicher dans les moindres recoins du poème. Mais la soumission à la prosodie n’empêche pas une certaine autonomie du discours musical. Cavalli peut ainsi traiter certains récitatifs en aria, ou, à l’inverse, transformer des formes closes, voulues comme telles par le dramaturge, en de simples récitatifs, comme par exemple dans l’Orione (Milan, 1653). À l’instar du prologue onirique des Amours d’Apollon, premier grand chef- d’œuvre du baroque lyrique, la musique de Cavalli maintient le spectateur dans un rêve éveillé, dans un enchantement des sens, le temps éphémère et pourtant long que dure la représentation. Mais n’est-ce pas là, au fond, la signification profonde de la poésie (carmen, charmes, enchantements) qui retrouve ainsi avec le compositeur vénitien le chant indéfinissable de l’éloquence, jadis vantée par Cicéron ? Aux spectateurs de le vérifier. »
Jean-François Lattarico
En collaboration avec Classicall TV_M Media.