Cappella Mediteranea

Cavalli, Elena

Elena Cavalli

Enregistré lors des représentations durant le Festival d’Aix-en-Provence en juillet 2013, Elena de Cavalli n’avait plus été joué depuis plus de 350 ans. La presse internationale avait salué cette redécouverte comme l’un des événements majeurs du domaine lyrique. Avec la mise en scène imaginative de Jean-Yves Ruf, servi par une distribution exceptionnelle faite de jeunes chanteurs réunis par l’Académie du Festival Aixois, cet ouvrage est aussi sublimé par le talent des instrumentistes de la Capella Mediterranea et le talent théâtral de Leonardo Garcia Alarcon.

« L’élégance des costumes et l’intelligence de la captation – dont les plans rapprochés sur les interprètes soulignent l’effet pathétique d’une déclamation toujours juste – participent aussi à la réussite exemplaire de cet enregistrement. »

Jean-François Lattarico pour Diapason

La Belle Hélène par Cavalli

Elena raconte les premières aventures d’Hélène, la femme la plus belle du monde désirée par de nombreux soupirants, dont Ménélas qui se déguise en amazone pour l’approcher, et Thésée qui l’enlève et tente de la séduire, au grand dam de sa fiancée légitime, Hippolyte. À ce vaudeville mythologique très librement inspiré de plusieurs sources antiques et doublé d’une course-poursuite rocambolesque, de nombreux personnages truculents ou tragiques viennent se mêler. Les scènes de comédie et de quiproquos abondent donc, dans une proportion plus grande que dans L’Incoronazione di Poppea ou La Calisto. Mais le mélange des genres, typique de l’esthétique vénitienne, demeure et des personnages comme l’amazone Hippolyte ou le prince Ménesthée restent des figures exclusivement tragiques à qui sont confiés plusieurs lamenti.

À propos

Elena révèle aussi la tendance à « humaniser » les livrets d’opéra italien : il n’y a plus ici de dieux antiques, passé le prologue et la première scène, mais des humains dont le moteur principal est le désir, aimanté par la plus belle femme du monde, laquelle suscite la convoitise de rien moins que quatre personnages. Reflet comique de cette propension à provoquer le désir, Ménélas déguisé en Elisa met le feu bien malgré lui aux convoitises du roi Tyndare et du héros Pirithoüs. Ce ressort central de l’intrigue repose sur les particularités de la voix de castrat : cette dernière étant proche de la voix féminine par sa tessiture et son timbre, elle autorise les équivoques et travestissements qu’affectionnait le public de Venise, friand de déguisements carnavalesques.

Mais le travestissement de Ménélas permet non seulement les quiproquos attendus : il infuse aussi dans l’ouvrage une dimension homoérotique dont la tradition vénitienne montre de multiples exemples. La comparaison avec La Calisto est éclairante à ce sujet : dans ce dernier ouvrage, on voit en effet Jupiter se métamorphoser en Diane afin de pouvoir séduire la nymphe Calisto, qui adresse des mots enamourés à la déesse chasseresse. L’autre particularité formelle de La Calisto, que l’on retrouve dans Elena comme dans la plupart des livret de Faustini, c’est la présence d’un couple secondaire en regard du couple central (Diane/Endymion dans La Calisto, Thésée/Hippolyte dans Elena). À ces histoires amoureuses, il convient d’ajouter nombre de personnages secondaires plus ou moins typiques : la suivante âgée qui se plaint de ne point susciter le désir comme sa maîtresse (Erginda, puis Eurite), le bouffon qui se rit de tout (Iro), le roi décrépit qui soupire d’amour comme un jeune homme (Tyndare), etc.

Extraits de presse

Diapason

Reflet des représentations d’Aix-en-Provence qui enchantèrent le Théâtre du jeu de Paume l’été dernier, cette Elena inédite de Cavalli était attendue avec impatience . Nous avions apprécié, à la création, l’homogénéité de la lecture qui avait révélé au public une partition foisonnante, l’une des plus riches et séduisantes du maître vénitien. […] Si le comique y est plus présent encore que dans les grands chefs-d’œuvre désormais consacrés (Poppeaou Calisto), le mélange des genres reste la marque de ce répertoire, qui nous vaut ici les pathétiques et déchirants lamentos d’Ippolita, les sensuels duos d’Elena et Menelao, ou les facéties désenchantées d’Iro, interrogeant avec dérision notre fragile humanité.

Pour redonner vie à cette partition oubliée, Leonardo Garcia Alarcon a réuni une distribution sans faille : Emöke Barath rayonne de beauté et de grâce, Valer Barna-Sabadus a le physique et la voix de l’emploi, tout comme l’irrésistible Emiliano Gonzalez-Toro, comédien hors pair ; même les rôles secondaires sont somptueusement distribués (Mariana Flores, impériale), et si le chant de Rodrigo Ferreira semble parfois un peu (trop) tendu, tous rendent justice, par une diction et un engagement dramatique irréprochables, à ce théâtre des sens. La lecture sobrement linéaire de Jean-Yves Ruf a le grand mérite de rendre immédiatement lisible une intrigue comme à l’accoutumée complexe. Le dispositif unique en bois, aux couleurs chaudes, évoque tout à la fois le théâtre du globe shakespearien, avec lequel l’opéra vénitien présente de troublantes accointances, et l’arène du combat que se livrent les deux protagonistes puis la quasi-totalité des personnages. L’élégance des costumes et l’intelligence de la captation – dont les plans rapprochés sur les interprètes soulignent l’effet pathétique d’une déclamation toujours juste – participent aussi à la réussite exemplaire de cet enregistrement. »

Jean-François Lattarico pour Diapason
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Distribution

Co-production de BelAir Musica et du Festival d’Aix-en-Provence.

Sortie en 2013 chez Ricercar

Cavalli Elena, Festival d'Aix-en-Provence, Théatre du Jeu de Paume, Cappella Mediterranea

Interviews croisées

À votre avis, pourquoi redécouvre-t-on Elena de Cavalli seulement aujourd’hui ?

« Je me le demande bien ! Comment une pièce de cette qualité peut-elle rester 350 ans sans être jouée ? Ce n’est pas seulement de la faute des musiciens. Je regrette que certains metteurs en scène, parfois par manque de curiosité ou par manque d’accès aux sources manuscrites, se contentent souvent de ne travailler que sur des pièces dont il existe déjà des enregistrements. Je sais qu’il s’avère difficile d’imaginer ce qu’une partition peut donner pour une personne qui n’est pas musicienne. Pour la création d’Elena de Cavalli, Jean-Yves Ruf est venu travailler chez moi, je lui ai joué l’œuvre au clavecin trois jours durant. Il a ainsi pu m’enregistrer, se faire une idée de la musique et en parler à son équipe. Cela demande un imaginaire considérable de la part du metteur en scène, qui doit avoir en tête ce qu’il connaît des compositions connues de Monteverdi et de Cavalli, pour ensuite se jeter dans le vide sur une musique inconnue. […] »
Leonardo García Alarcón, propos recueillis par Jérémie Leroy-Ringuet

***

Cette démonstration du pouvoir détenu par le désir, que l’on trouve déjà dans Le Couronnement de Poppée de Monteverdi, est-elle typique de l’art baroque ?

« La définition du baroque selon laquelle tout est constamment en mouvement se vérifie constamment dans Elena. Il n’y a pas d’amour décidé dès le départ qui va tenir tout au long de l’action. Au début de l’ouvrage, Hélène est vierge en matière amoureuse, mais elle a envie de connaître l’amour. Et lorsque Ménélas arrive et l’interroge, elle se rapproche de lui alors qu’il est déguisé en Elisa. Je suis fasciné par la relation qui s’établit entre cette jeune fille et cet homme déguisé en femme. Il y a quelque chose de l’ordre du rationnel, et puis en même temps un monde irrationnel où les corps se parlent, où ils se reconnaissent. C’est une idée déjà présente dans Le Combat de Tancrède et Clorinde de Monteverdi. Clorinde revêt une armure d’homme et se retrouve face à son amant Tancrède, qui ne sait pas qu’il se bat avec sa propre fiancée ; il sait juste qu’il a quelque chose à voir avec ce corps-là, quelque chose de très fort, que ce soit dans la mort, dans la vie ou dans la haine. Le désir de Ménélas et le regard que pose Hélène sur Elisa rendent magnifique ce rapport d’intimité entre eux deux. Hélène est troublée, même si cela n’apparaît pas à la surface. […] »
Propos de Jean-Yves Ruf recueillis par Marie Goffette

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