« Chouchane Siranossian et Leonardo García Alarcón présentent avec cet enregistrement l’une des interprétations les plus vivantes et les plus profondes que je connaisse. Dans le jeu rhétorique expressif de Siranossian, rien ne semble infondé. Sa collaboration avec Balász Máté et Alarcón est réjouissante. »
Remy Franck
Vous jouez l’un et l’autre des répertoires très variés, jusqu’à ceux du XXIe siècle. Pourquoi ce retour aux sources du violon ?
Chouchane Siranossian : On a souvent tendance à oublier le répertoire du violon avant Jean- Sébastien Bach et ses Sonates et Partitas pour violon seul. Or Bach a été précédé par bien d’autres compositeurs – à commencer par sa propre famille, constituée de plusieurs musiciens réputés –, qui auront une réelle influence sur lui. Les sonates pour violon seul de Johann Paul von Westhoff et Johann Georg Pisendel, par exemple, d’une écriture polyphonique typique de l’école allemande du violon, annoncent sans équivoque les Sonates et Partitas. […]
Le répertoire vocal, très développé au XVIIe siècle et avant, marque-t-il ce répertoire nouveau purement instrumental ?
Leonardo García Alarcón : Dans ce jeu d’influences qu’évoque Chouchane apparaît un lien évident pour moi entre Monteverdi et Bach. Farina est originaire de Mantoue et a peut-être assisté enfant à la création de L’Orfeo ou des Vêpres. Or Monteverdi est le premier dans l’histoire de la musique à donner au violon une place prépondérante. Selon lui, cet instrument est le seul à pouvoir exprimer toutes les émotions humaines, en particulier la colère. Dès la création du premier théâtre public à Venise en 1637, le violon devient l’instrument roi pour exprimer les émotions les plus exacerbées, et relègue à l’arrière-plan la viole de gambe, qui conserve son rôle d’instrument intime et de cour par excellence. Cette prépondérance est aussi due à Farina, qui compose l’une des premières partitions descriptives, Capriccio stravagante, dont l’apogée seront Les Quatre Saisons de Vivaldi. Capriccio stravagante confirme ce que Monteverdi avait avancé : le violon est bien la nouvelle lyre d’Apollon, or pour que cette lyre en soit vraiment une, il fallait qu’elle soit polyphonique. Ce sont les Allemands et les Autrichiens qui développeront cette écriture à plusieurs voix pour le violon. Bach maîtrise cette écriture très jeune, dès les sonates pour violon et basse continue BWV 1021 et 1023 que nous enregistrons ici : il y rend hommage à tout ce qui a été inventé au XVIIe siècle et ouvre la porte au XVIIIe siècle. Nous présentons également sa fugue en sol mineur BWV 1026, dont l’écriture est d’une grande complexité, la seule écrite pour violon et basse continue. Toutes ces œuvres sont des chefs-d’œuvre de la musique instrumentale, sans pour autant être éloignées de la musique vocale : on y entend du texte, des respirations entre les phrases, des consonnes et des voyelles – c’est pour moi une évidence. La musique chantée, à l’époque de Bach, est omniprésente dans le cerveau des compositeurs.
Extraits – Propos recueillis le 22 mars 2021 par Claire Boisteau